La plupart des sujets que j’aborde dans ce bloc sont relatifs à la musique, mais je compte bien pouvoir aussi parler aussi de littérature, de cinéma, d’arts plastiques et problèmes société. Dans cette perspective, j’accueille aujourd’hui le texte suivant de mon ami François Laurent.

 

Troublants parallèles

 

Tout récemment sur internet, deux informations retiennent l’attention :

La première : « Daech met en scène ses nouvelles méthodes d’exécution » (le Parisien du 23 juin). On y apprend que le groupe Daech a publié une nouvelle vidéo d’exécution de ses prisonniers. Successivement au programme :

  • cinq hommes sont enfermés dans une cage d’acier, celle-ci est plongée dans une piscine où l’agonie est filmée par deux caméras amphibies.
  • Sept autres sont décapités par l’explosion d’un câble qui relie leurs cous. Un savant travail de montage vidéo rend la chose particulièrement spectaculaire.
  • Un groupe de quatre hommes est enfermé dans une voiture, détruite ensuite par un tir de roquette. Le véhicule en feu et les cris qui s’en échappent sont scrupuleusement enregistrés.

La seconde (toujours dans le Parisien) s’intitule sobrement : « Un provocateur de génie à Versailles ». On y évoque l’exposition, dans le domaine du château (à l’invitation de sa présidente, Madame Catherine Pégard), réalisée par l’artiste britannique Anish Kapoor, star de l’art contemporain. Il y propose entre autres :

  • « Dirty corner », tuyau de métal rouillé, de soixante mètres de long, à demi enfoui dans le gazon du Tapis Vert. Son ouverture évasée bée vers le château et la belle fontaine de Latone toute proche (qui vient d’être magnifiquement restaurée). Un chaos de blocs de rochers complète l’ensemble qui éventre une pelouse qu’aucun pied n’aurait eu le mauvais goût de fouler en temps normal. Je passe sur les interprétations sexuelles de la chose totalement assumées (puis maladroitement récusées) par l’auteur.
  • Un peu plus loin, en ville cette fois, dans la Salle du Jeu de Paume (celle du Serment), « Shooting the corner » met en scène un canon de marine, propulsant des obus de cire rouge qui viennent s’écraser sur un coin de mur blanc. Ceci sous le regard indifférent de la statue de Bailly et des autres députés du Tiers État. À noter que la Salle du Jeu de Paume est le premier lieu en France ayant fait l’objet d’un arrêté de protection au titre des Monuments Historiques…

Ces deux informations me frappent par leur parallélisme, quelle que soit la disproportion entre les faits. Dans les deux cas, le but recherché est celui de la provocation, provocation des bourgeois dans un cas, provocation de l’occident dans l’autre. Avec des nuances, celle de Kapoor est un peu plus hypocrite, le terrorisme est voilé mais bien présent, tout est dans le non-dit : si vous n’aimez pas c’est que vous êtes un rétrograde, réfractaire à toute espèce de progrès dans l’art, recroquevillé sur un système de valeurs périmées. Bref, comme le disent élégamment les « Inrocks » (3/6/2015) vous êtes un membre de la « fachosphère ».

Dans le cas de Daech, et en utilisant sensiblement les mêmes moyens de communication, ceux de la mise en scène médiatique, la provocation est plus carrément assumée. Il s’agit d’horrifier, sans doute, mais surtout de montrer que le système de valeurs de l’adversaire ne mérite qu’une seule chose, être foulé aux pieds. C’est patent depuis la destruction des Bouddhas jusqu’à la mise à sac annoncée de Palmyre.

Dans les deux cas, on « met en scène » en utilisant tous les tam-tams offerts complaisamment par les médias et ce, non pas tant pour s’attirer les applaudissements de ses partisans que pour provoquer ses contradicteurs. Horrible conception de la politique, triste conception de l’art.